lundi

Un conte moderne (2)



COURS DE LITTÉRATURE
THÈME DU JOUR : L'UNIVERS DU CONTE
Corrigé de l'exercice du 19/11

Intitulé de l'exercice : rédigez un conte moderne pour adulte. Vous vous appuierez sur les codes du conte pour enfant et des contes philosophiques / fables que nous avons vu en cours, afin de proposer une courte histoire mettant en scène des personnages modernes. Le but de l'exercice est de valider vos capacités de rédaction et d'imagination.

COPIE N°7 :

" J'ai 17 ans. Je m'appelle Garance. C'est ma maman qui a choisi. Moi je trouvais ça un peu moche, et puis, personne pouvait me donner de surnom. Gaga? Gara? Enfin. Quand j'ai eu 6 ans, maman disait que c'était plus possible, que ça pouvait pas continuer comme ça. Papa hochait la tête, il faisait "oui, oui" avec un air résolu, mais il avait tout aussi mal. Vassilia, elle avait que 4 ans, elle comprenait pas bien encore. Quand on a été plus grande, on nous a dit : ils se sont aimés un peu trop tôt, et avec le temps, on grandit, on grandit... On change.

Alors la vie a changé. D'abord, il y avait les disputes. Et puis, plus rien. Papa riait quand il nous déposait chez Maman, dans sa petite voiture verte, et Maman n'était plus aussi triste de le voir. Quand Vassillia s'est battue avec une autre fille à la récréation, ils sont venus voir le professeur ensemble. Pour mes sept ans, Maman et Jérôme m'ont offert un super vélo. Il était sympa, Jérôme, il faisait souvent des grimaces de clown pour nous faire rire, et il m'aidait pour mes exercices de maths.

Quand j'ai eu dix ans, Papa nous a parlé de Xavier. Il était venu boire des cafés, ou emmener Papa au cinéma. Papa nous a dit que bientôt, il allait venir habiter ici, parce qu'il n'était pas question qu'on déménage encore. Il nous a dit qu'il était très amoureux, comme avant quand il était amoureux de Maman, et il avait l'air heureux. J'avais peur au début, et avec Vassilia, on a été méchantes avec Xavier. On se moquait de lui, on faisait semblant de pas le voir.
Et puis, le jour où j'ai eu mon accident de ski en classe de neige, c'est lui qui est resté avec moi à l'hôpital, parce que Papa était parti pour son travail. Même qu'au début, ils voulaient pas qu'il reste avec moi dans ma chambre. Il a crié, il a beaucoup parlé avec les infirmières, et elles l'ont laissé faire. C'est devenu mon Papa Xav. Il était très fort pour imiter les chanteurs, et on rêve, c'était d'avoir un bateau rien qu'à lui. 
Papa Xav nous emmenaient faire du bateau tous les quatre. On jouait aux cartes jusqu'à tard le soir, on regardait des films, mais il expliquait toujours tout, on pouvait pas entendre parler les personnages. 

Il est arrivé quand j'avais 12 ans. Il s'appelait Daniel, comme mon Papi, et il était beau comme un ange. Un ange avec une peau en chocolat. Bon, la nuit, il criait beaucoup, alors avec Vassilia, on est restées chez Maman et Jérôme pendant plus de temps que d'habitude. Chez Maman et Jérôme, il y avait maintenant Agathe et Romain. J'étais un peu perdue, quand même. Il fallait grandir vite, pour tout comprendre.

Et j'ai grandi vite. En un rien de temps, j'ai eu 15 ans. J'ai aimé un garçon plus âgé, à qui j'ai fais beaucoup de mal, et l'adolescence a continuée. Avec ses joies, ses peines... avec ses découvertes. Bien sûr que j'ai souvent prié pour que mon père et ma mère s'aiment à nouveau. Bien sûr que j'ai souvent prié pour que Jérôme et Xavier disparaissent, pour que Silia, Dany, Rom et Agathe n'existent pas, et que je sois seule au monde, avec mon Papa et ma Maman.
Mais l'amour n'est jamais simple. Aujourd'hui, j'ai 17 ans. Dans la classe de Dany, il y a un petit crétin qui s'appelle Kevin, et qui se moque de lui. Quand c'est arrivé à Silia, elle n'a pas hésité à cogner : elle est un peu brutale, quand on touche à ses parents. Moi, je me contente d'un soupire, parfois d'un sourire.

La vie suit son court, tout doucement. "





Un conte moderne (1)



COURS DE LITTÉRATURE

THÈME DU JOUR : L'UNIVERS DU CONTE
Corrigé de l'exercice du 19/11

Intitulé de l'exercice : rédigez un conte moderne pour adulte. Vous vous appuierez sur les codes du conte pour enfant et des contes philosophiques / fables que nous avons vu en cours, afin de proposer une courte histoire mettant en scène des personnages modernes. Le but de l'exercice est de valider vos capacités de rédaction et d'imagination.

COPIE N°6 :

https://twitter.com/mathieu_m/status/269827518125703170/photo/1

Conte moderne
J'ai 5 ans, je m'appelle Kevin. J'ai vu papa déguisé en Drag Queen au défilé de la Gay Pride.
J'ai vu papa qui m'a adopté se pacser avec un homme et l'embrasser sur la bouche devant Monsieur le Maire. Cette nuit, réveillé par un cauchemar, je suis entré avec mes petits chaussons dans la chambre de papa et j'ai vu papa 1 sodomiser papa 2. Expliquez-moi, Monsieur Hollande, à quoi ça sert les filles? "



CORRIGE DE LA COPIE
Vous avez compris l'intérêt de l'exercice, mais vous n'avez pas respecté la consigne de la modernité, et c'est bien dommage. Essayons de reprendre ensemble les points de votre récit qui mériteraient d'être revus et corrigés.

1) votre personnage principal
Vous avez saisi l'intérêt de choisir un enfant jeune, d'apparence innocente, et de le faire s'exprimer dans un style épuré, et c'est intéressant. Cependant, le choix de l'âge et du prénom de sont pas cohérent : en effet, le prénom "Kevin" a connu une grande popularité dans les années 90 / 2000, mais a connu une baisse considérable, qui le porte aujourd'hui dans les prénoms les moins donnés aux enfants nés ces 5 dernières années. De plus, par son détournement fréquent sur les réseaux sociaux, "le Kevin" est une figure récurrentes de blagues moqueuses. Choisir un tel prénom pour votre héros dé-crédibilise d'avance votre personnage, or le but était bien de créer un conte original et moderne, c'est à dire, apprécié de vos lecteurs contemporains.

En suite, l'âge de votre personnage semble mal choisi. L'utilisation d'un vocabulaire très spécifique en matière de mobilisations collective, de genre et de sexualité, n'est pas adapté à un enfant de 5 ans : les termes de drag queen, l'évocation de la Gay Pride ainsi que la pratique de la sodomie réponde bien à notre problématique "moderne", mais il semble un peu difficile pour un jeune enfant d'avoir pleine conscience de ses termes. En effet, même si la Gay Pride est un évènement politique connu de tous, les enfants ne semblent pas s'y intéresser. De plus, les adultes qui y participent la considèrent comme une manifestation responsable, et n'y instrumentalisent pas leurs enfants : on ne voit donc jamais d'enfants dans les Gay Prides, sauf des pré-ado déjà engagés et/ou concernés par les questions d'égalité des familles.

2) votre point de vue sur le genre
Nous allons continuer avec un autre terme, celui de Drag Queen. Comme nous venons de le dire, il est peu probable qu'un enfant de 5 ans connaisse et emploie ce terme en toute connaissance de cause. Ainsi, l'utilisation de ce terme dé-crédibilise le traumatisme que votre personnage semble vivre, à la vue de son père déguisé. Une formule plus épurée, moins genrée, aurait été la bienvenue pour décrire cette situation. Vous avancez ici un pré-supposé délicat, qui est qu'un homosexuel est un drag queen ... Nous ne sommes pas ici pour donner des cours de genre, mais tout de même, cette idée est très surfaite.

La question finale adressée au prédisent est une bonne idée, car elle permet de renouer avec un contexte actuel et politique, sous une forme enfantine et poétique. Mais la place de la femme dans votre conte est à revoir... Les deux instances de socialisations primaires étant la famille et l'école, il faut se rappeler que si, en effet, si un certain nombre d'enfants n'ont pas vraiment conscience du genre opposé lorsqu'ils sont petits (pas de frère/soeur), il le découvre dès l'entrée en école primaire. Ainsi, votre personnage ne peut pas se poser une telle question.

Pour finir, la formulation est archaïque et insultante, car elle induit une notion, une nécessité "d'utilité" pour un genre. La femme serait donc un objet d'utilité qui servirait à ... eh bien, à vous de nous le dire. Vraisemblablement, la femme aurait empêché son enfant de la découvrir nue, au lit avec un homme. Or, beaucoup d'enfants ont trompés la vigilance de leurs parents, les découvrant nus et/ou en train de faire l'amour : que le couple soit hétéro ou homo, une discussion pédagogique et, admettons-le, un peu délicate, s'impose alors.

3) votre intrigue
Nous allons conclure ce commentaire sur la faiblesse de votre intrigue, qui se base sur trois évènements incohérents. Tout d'abord, le déguisement : comme nous l'avons annoncé, la participation d'un adulte à une manifestation politique ne se fait ni sous le regard, ni sous la conscience d'un enfant. Cette participation est la liberté de chacun, et n'influence les choix politiques et l'équilibre de l'enfant que si elle fait l'objet d'une forte sensibilisation (ce qui ici, n'est pas le cas : l'enfant ne participe pas à la manifestation, elle ne fait pas l'objet d'une discussion ni d'un discours moralisateur).

Le mariage à la mairie : lorsque deux personnes se pacsent ou s'épousent, cela implique un contact et une entente (ou non) avec les enfants du conjoint. Votre situation ici n'est pas claire : s'agit-il d'un enfant adopté par un père célibataire, qui épouse ensuite son nouveau conjoint? S'agit-il d'un enfant adopté par deux pères? S'agit-il d'un enfant d'un ancien mariage rompu? On ne sait pas vraiment... Toujours est-il qu'un enfant qui voit son père ou sa mère épouser une autre personne ne peut pas, et ne doit pas considérer le conjoint comme un étranger. La question est ici une question d'éducation et de famille, non une question de sexualité : le petit garçon pourrait être tout aussi perturbé que son père embrasse "une dame" devant "Monsieur le Maire".

La nuit du cauchemar : il faut vraiment que vous travailliez votre style, qui est un peu lourd... La pratique sexuelle de la sodomie n'est pas vraiment à la portée de la compréhension d'un enfant de 5 ans. Si le traumatisme créé par la vision d'un acte sexuel est réel (et vous le montrez bien), il n'est en rien déterminé par une orientation sexuelle. Vous nous décrivez ici un enfant choqué par un acte sexuel, mais pas un enfant choqué par un acte homosexuel, et il semblerait que votre propos était le second. Vous échouez donc dans votre démonstration. Ensuite, dans un cas de famille recomposée, où l'enfant côtoie le nouveau conjoint de son père/sa mère, il n'y a pas de noms chiffrés : personne, au 21ème siècle, n'appellent ses parents Papa 1 et Papa 2. Votre propos est complètement hors-sujet. La sodomie n'appartient d'ailleurs pas aux homosexuels, mais à toute la communauté des êtres sexués. Le petit Kevin aura certainement beaucoup de plaisir à sodomiser une de ses futures camarades quand il en aura l'âge, cela n'en fait pas un démon. Quoi que ...

4) conclusion
Le petit Kevin dont vous nous contez l'histoire n'est pas un fils d'homosexuels, mais un enfant malheureux, qui souffre d'un manque de communication avec ses parents : si son père se pacse avec un autre homme sans lui en parler, et s'il n'est pas capable de poser un verrou sur sa porte, alors effectivement, ce n'est pas un papa formidable. Mais le petit Kevin aurait-il été plus choqué de voir son papa sodomiser sa maman?
L'enfant est le fruit d'un amour : si aujourd'hui, certains enfants se sentent rejetés, sont terrifiés par l'avenir, cela est du à une mauvaise éducation. L'éducation n'est pas genrée ni sexuée, elle n'appartient ni aux hommes ni aux femmes, ni aux couples gays ni hétéros.

Pour conclure, même si vous avez compris l'intérêt de l'exercice, votre conte n'est pas un conte moderne, car il utilise des codes erronés de la société actuelle. Dressons la liste :  propos sexistes, propos discriminants à l'égard des Drag Queen et de la communauté LGBT dans son ensemble, diabolisation d'une manifestation politique qui prône l'amour et l'égalité, diabolisation d'un acte sexuel, vision archaïque de la famille, personnage fade et sans relief, intrigue sans intérêt.

Enfin, pour me faire plaisir, j'ajouterais une réponse à votre question finale : à quoi ça sert, les filles? Et bien, les filles, mon petit Kevin, ça sert à te sucer le gland, à faire la vaisselle, à repasser tes chemises, à se prendre des bites dans les fesses et à jouir comme des grosses salopes. Voilà. Maintenant, va faire tes devoirs, mon fils.


NOTE : 0,5 / 20

Je vous invite à lire la copie qui a eu la meilleure note à cet exercice, et qui sera très prochainement mise en ligne. En attendant, vous pouvez si vous le souhaitez, reprendre votre conte et m'en retourner une version corrigée, un peu moins homophobes et sexiste.



dimanche

Pas vous plaire.


Non, ça ne va pas vous plaire. Parce que, malgré votre grande ouverture, vous avez quand même des narines étroites, et je crois que vous n'aimez que vos odeurs bien à vous : vos parfums de révolutions consensuelles, vos effluves de fausses rébellions qui ne sont que des provocations grasses, gratuites, ridicules.

J'ai voulu, à un âge, faire comme tout à chacune : tuer le père, casser les codes. C'est le début de l'art, et c'est le début du nouveau siècle. Mais même, alors qu'on devrait pouvoir clamer sa différence et s'exprimer, même auprès de jeunes chevelus rebelles, bannière au vent, je ne me sens pas chez moi.
Pas parce que je suis bisexuelle. Pas parce que je suis socialiste. Pas parce que je suis une femme, ou une moins de 30 ans. Je me sens catégorisée, stéréotypée, par quelque chose qui m'appartient, qui est fort, et que les gens ne veulent pas comprendre.

Quand j'entends parler de Dieu, je ne vois pas les sept péchés capitaux. Je ne vois pas la menace de l'Enfer, je ne vois pas la femme attachée à sa poelle à frire, je ne vois pas la retenue et la pureté. Je ne vois pas la chasteté, les bûchers, la mort de la différence et l'enfermement dans un carcan dangereux et étriqué.

Je vois de l'amour, et de l'espoir.
Je ne crois pas que ça fasse de moi une mauvaise personne.

Alors si je respecte les non-croyants, les pratiquant, les hésitants, les maux de dents, je crois mériter, moi aussi, un minimum de respect. Ni la foi, ni l'athéisme, ne sont des normes forcées. Jésus n'est pas un coincé du cul. Le Pape n'est pas Dieu. Le Pape est un homme politique qui transmet un message erroné : si ça vous fait tellement mouiller vos culottes de vous répéter cette petite phrase, oh combien consensuelle, "Dieu n'avait certainement pas prévu qu'on prendrait son bouquin à la lettre", alors interrogez-vous un peu.

Vous voulez casser les codes? Aller au-delà des apparences? ...mais vous continuez de croire qu'être chrétien, c'est bouffer du pain rassi, se flageller dès qu'on a une pensée impure, et vouloir brûler les noirs et les homos?

Et bien, bravo, les jeunes : vous faîtes partie intégrante des étriqués du trou de balle. Vos idées sentent la merde. Il n'y a d'espoir ni pour vous, ni pour le monde.



Mes petits immondes à moi.




Mon petit monstre bien à moi. Tapi confortablement, enroulé sur toi-même, tu ronronnes. T'es paisible jusqu'à la prochaine crise. Tu sais, quand tu te réveilles avec les premières gouttes ou les premières bouffées de la soirée. Que tu commences à grogner, à t'agiter. Et plus ça coule, et plus ça fume, et plus tu t'excites. Tu  ravages tout à l'intérieur, tu griffes, tu mords, tu me laboures le coeur, et les gens croient que j'ai trop bu. Ils croient que j'ai trop fumé. Ils croient que je suis fatigué.

Eux aussi, ils ont leurs petits monstres. Ceux qu'on chouchoute, même si on les déteste. On les caresse, on les nourrit, faudrait surtout pas qu'ils partent : ils sont devenus tellement grands que tout s'effondrerait à leur départ. Et puis, la rage, ça donne de la force. La haine, ça donne du courage. Le sang, ça rappelle qu'on est vivant.

Le mien n'est même pas beau. Ni très intéressant non plus. Mais quand la musique est un peu trop forte, et qu'on y voit plus très bien, il devient grand. Il devient lourd, et fort. Il se dédouble, même, il me rappelle qu'il n'est jamais seul, et que l'autre n'est pas loin. Et j'entends des voix qui ricanent.

Mon petit monstre bien à moi. Rien que de savoir que tu es là, que tu existes encore, ça me répugne : j'entends les repas que tu mâches, les baises mous que tu donnes, les étreintes tristes et les récits ridicules qui font de ta vie une minable pantomime. Le dégoût m'handicape, mais la rage me fait tenir. C'est pour ça que je ne te chasses pas : quand tu te plantes dans ma chair, je me souviens que je t'ai hais, que je te hais toujours. Que la vie est plus forte que toi. Que tu ne sais pas qui je suis. Qu'un jour, tu vas cracher tes dents.

Peut-être qu'on peut apprivoiser les monstres en nous. Pour l'instant, on croit que j'ai trop bu, ou trop fumé, ou que je suis fatigué. Parfois, on croit que je suis de mauvaise humeur. Un jour, ça va sortir, en entier : toute l'histoire. Fini, les putains de bribes avouées, les morceaux crachés, les petits détails. Tout en un bloc, avec les noms et les adresses. Ce jour là, le monstre va disparaître, avec le même regard doux et triste que je t'ai vu fausser pour la dernière fois. Avec ton air penaud, triste et inquiet.

Et alors là, j'espère que la cave immense et sinueuse que tu auras creusée en moi va tenir. J'espère que les fondations sont solides, et ne vont pas s'écrouler, pour que je les remplisses de milles choses vraies, fortes et bonnes : d'amour, de joie et de tendresse, d'éclats de rire et de promesses.




Arnaque du réveil n°3 : la fille parfaite


On connaît tous les mauvaises surprises au réveil. Du type : prénom inconnu, âge douteux, genre douteux, hygiène douteuse, membre manquant, arme blanche, animal de compagnie exotique. Mais il y en a une autre, parmi les pires, mais dont on parle très peu. Presque un tabou. Eh bien, je l'ai expérimentée pour vous.

C'était un soir tranquille, que je ne vous décrirais pas (c'est bien dommage pour vous, d'ailleurs) et j'avais ramené chez moi une charmante personne : traditionnelle petite robe noire sans prétention, veste cintrée, écharpe fantaisie. Mais au lendemain, catastrophe. Il m'a fallu un seul coup d'oeil pour comprendre. Pas de grumeaux de mascara aux coins des yeux, pas de boutons démasqués, cheveux impeccablement lisses, pas même de petit frisottis suant sur le front.

Vous l'aurez compris : j'étais tombée sur une beauté.

Les beauté, y'a rien de pire. Si vous ne vous êtes pas réveillée en premier, vous serez frappé par une évidence violente : un baiser frais et sec vous réveillera. Car la beauté a toujours une haleine parfaite, même après des pintes de bières, même après 20 clopes, même après la pelle roulé au trentenaire douteux. Ensuite, les cheveux de la beauté sont toujours naturellement coiffés. On est bien d'accord que toi, quand tu te réveilles... tu crois que tu as un effet coiffé-décoiffé, mais en fait, tu fais juste peur. Ta frange s'est divisé en immondes petits épis ridicules, des mèches frissouillent, le tout étant plus ou moins gras ou pelliculeux.

Même si t'as de beaux yeux, au lendemain de soirée, t'as toujours la paupière un peu gonflée, ou alors une vieille cerne violette, et des crottes disgracieuses. En plus, t'as la gueule de bois, alors ton visage est marqué d'une disgrâce naturelle. Et elle, la fourbe, l'infâme, elle rayonne de beauté dès le premier étirement douloureux du lendemain de cuite. C'est terrible. C'est injuste. C'est cruel.

Malheureusement, ces femmes-là s'en prennent toujours aux proies faciles, aux filles comme vous et moi, ou aux hommes comme vous et, euh ... enfin, ceux qui se sont mis bien pour la soirée, et dont la nature réelle (donc plutôt banale, donc plutôt pas terrible) resurgit le matin. Mais pour ces créatures-là, il n'y a jamais de matin. Sans maquillage, sans crème de jour, sans peigne, sans rien, juste avec un vieux t-shirt (qui ne sens même pas la transpiration!), elle scintille de milles feux culpabilisants.

Moi, quand j'ai la gueule de bois, je râle sans arrêt, j'ai mal à la tête et je traîne au lit toute la journée. Elle, elle est toute fraîche, elle prend une douche froide et fait un petit jogging "pour se réveiller comme il faut". Elle renfile sa petite robe noire sans prétention et sans auréoles, sa veste cintrée sans tâche de bière, son écharpe fantaisie qui sent toujours aussi bon. Elle attrape son sac (bonne marque), le tout dans un vas et vient de cheveux si parfaits que t'as envie de les bouffer. En soupe. En infusion. En rail avec une paille. Elle t'écris son téléphone sur un papier, et elle part bosser avec un clin d'oeil malicieux et un signe gracieux de la main. Dans la rue, on pourrait jamais deviné tout ce qu'elle a bu la veille ni tout ce qu'elle a prit après, vu comment elle marche droit dans ses bottines, clic-clac.

Moi, je suis restée à transpirer dans mon pijama batman, avec le ventre en vrac, la bouche moisie, le front gras et mes lunettes de hibou sur mon nez. Sans doute pas net, le nez. C'est terrible. C'est injuste. C'est cruel.

And then, I tried to do something with my body.


Simone, my love ...


Quelques miettes du Deuxième Sexe, par la brillante Miss Beauvoir : j’ai longtemps traîné les pieds en refusant d’en entamer la lecture. Mais il s’avère que cette femme … Enfin, c’est indescriptible. Lisez vous-mêmes.

- On se demande avec perplexité d’où peut venir l’ivresse de prendre et de combler si la femme prise et comblée n’est qu’une pauvre petite chose, chair fade où palpite un ersatz de conscience. Comment peut-il perdre tant de temps avec ces créatures vaines? Ces contradictions donnent la mesure d’un orgueil qui n’est que vanité.

- Ne sait-il pas que la sensualité des femmes n’est pas moins tourmentée que celle des mâles? Au nom de quelles valeurs ce grand orgiaque crache-t-il avec dégoût sur les orgies des autres? Parce qu’elles ne sont pas les siennes?

-  "Elle doit aller aux WC ! Et Costals se souvint de cette jument qu’il avait eue, si fière, si délicate qu’elle n’urinait ni ne brenait jamais quand il était sur son dos” : ici se découvre la haine de la chair, la volonté d’assimiler la femme à une bête domestique, le refus de lui reconnaître aucune autonomie, fût-elle d’ordre urinaire; mais surtout, tandis que Costals s’indigne, il oublie qu’il possède lui aussi une vessie et un colon; de même quand il s’écoeure d’une femme baignée de sueur et d’odeur, il abolit toutes ses secrétions personnelles : il est un pur esprit servi par des muscles et un sexe d’acier.

What she did


On va pas en faire tout un plat. De toute façon, quoi qu’on fasse, y’a toujours des histoires avec elle. Le genre de fille qui croit que le monde est contre elle… Le genre qui pique des crises, et ça parle, et ça parle, t’en vois jamais le bout.

En plus, elle était d’accord. C’est pas comme si elle s’y attendait pas. Franchement, elle se dit intelligente, elle aurait du le voir venir. Et puis, elle nous connait. Moi, ça fait un moment qu’elle me pratique, déjà : elle sait bien que quand j’appelle, c’est pour tirer mon coup. Pas de sensibleries. Mais bon, les gonzesses, faut leur emballer ça joliment, sinon ça passe moins bien. Alors faut dire qu’on pense à elle, qu’elle nous manque, tout ça… Conneries.

C’était vraiment chiant, de faire tout ça. Franchement, crevé comme j’étais, j’aurais préféré faire ça tranquillement, sans prise de tête. Sans passer par la case babla. Mais avec elle, pas moyen, fallait que je sorte le speech. Et elle trouve encore le moyen de se plaindre !

Bien sûr, qu’on avait bu. On avait bu tous les trois. Elle se prend pour une fille bien,  moi je vous dis qu’elle se la raconte : cette fille, c’est une traînée  Elle se l’avoue pas, c’est tout ! Sans dec, à quoi elle s’attendait en venant là? Fallait pas boire, cocotte. Nous, on l’avait bien compris, que tu te réveillais pas toujours au bon endroit, pas toujours en bonne compagnie.
Qu’est-ce qu’elle a pu chialer… On l’arrêtait plus ! Une vraie pisseuse ! J’ai eu du mal à me tirer de là, et même après, elle a continué de me harceler avec ça. Comme quoi on lui avait menti, ou j’sais pas quoi. Comme quoi on s’était arrangé. On déconnait, c’est tout ! Des mecs entre eux, ça déconne, ça parle de cul, ça parle de meufs, tout le monde le sait. Et c’est pas toujours beau à voir.

Bon, la forme était peut-être pas géniale. Mais y’a pas de quoi en faire un fromage. Nous, on savait bien ce qui allait se passer. Si elle, elle a pas compris, c’est pas notre problème. Si vraiment elle voulait pas, elle avait qu’à pas venir. Ou alors fallait qu’elle le dise. Enfin, fallait qu’elle le dise un peu plus fort.

Vraiment, pas de quoi piquer une crise. Elle est compliquée, celle-là… 



vendredi

La ballade de Lila K : justesse et poésie dans l'anticipation, enfin.

Je ne supporte pas les romans d'anticipation apocalyptiques et culpabilisants : non seulement ça vous fout le cafard, mais en plus c'est affreusement à la mode. Comme le disait un article très bien foutu dont j'ai oublié la provenance, l'actualité s'est accaparée la littérature. En gros, on ne peux plus lire tranquille. Il y a toujours un Bagdad, ou un Big Brother près à vous bouffer la rétine et vous confisquez le sommeil, et à force de vouloir dénoncer et sensibiliser, on finit par nous couper l'envie de lire.

Alors là, un bon roman introspectif, ça fait du bien. Pourtant, l'anticipation, on est en plein dedans : bienvenue  au siècle prochain. Mais c'est construit avec une telle douceur qu'on ne se rend compte de rien. J'ai pu apprécier, enfin, une vraie pudeur dans l'introduction d'un nouvel univers. En temps normal, quand une nana s'est cassé la tête à bidouiller un siècle tout neuf, avec ses villes, ses réseaux, ses gadgets, ses politiciens, ses révolutions (voir même ses gnomes et ses dragons), elle a envie de vous en faire un spectacle. Entrée en trompette, et vas-y que je te fous des noms bien mystérieux et des hasards en bois, vas-y que je t'utilise 35 machines dès la première page, pour bien te faire sentir le poids de mes clopes, de mon café froid, de mes cheveux en pétard et de mes nerfs en pelote. Dès le prologue, on a vraiment plus envie.

Ce qui se passe avec Lila K, c'est merveilleux. Peut-être parce que je n'ai pas lu le résumer, où on précise qu'elle évolue dans un "monde où les livres n'ont plus le droit de cité". Soft. Mais ç'aurait pu être n'importe quelle enfant fragile, apeurée, arrachée à sa mère et attachée à ce seul et unique souvenir d'enfance. La môme a le corps détruit, les médecins et les éducateurs tournent autour d'elle, essayent de la faire sortir du mutisme.

Les caméras, on ne les voit même pas. Elles sont disséminées, par-ci, par-là. La santé sur-contrôlée, les masques et les gants, on ne les remarque pas trop... Même le chat qui change de couler m'a paru normal. On s'habitue, comme elle, et le monde nous habite. On se retrouve dans une putain de cité avec des livres électroniques, des automates dernier cris, des chimères, des analyses d'urine dès le petit dèj et, bien sûr, un mystère qui entoure la Zone, où sont recalés tous les déchets sociaux.

Déjà, l'histoire est belle. La petite fille est touchante, une vraie sauvageonne comme il nous en manquait (aujourd'hui l'héroïne de roman se veut douce, effarouchée, craintive et délicate : elle, elle te bouffe la main et elle utilise des mots comme         ). Ma seule critique sera là-dessus : tiens, les gens me regardent. Mais pourquoi donc? Mais voyons, Lila... tu es une sublime beauté. Ah bon? Tiens, j'savais pas. Hum, seule petite erreur de parcours pour (la belle) Lila.

La quête de la mère, c'est aussi un peu bateau, mais ça passe tout à fait. Les flashbacks sont frustrants et angoissants, les corps sont maltraités, les amours sont à demi-mots et les sanglots refoulés. Les angoisses sont belles, les ruptures sont magiques, les deuils sont poétiques. Oui, voilà : il y a une vraie poésie chez Blandine Le Callet, même dans les moments les plus durs, les plus crus, les plus vrais. Comme si elle effleurait tendrement les cicatrices, les coups de reins furieux, les déchirures du coeur.

Un roman qui fait du bien, qui se dévore, qui ne s'attarde jamais et qui donne dans la justesse. Jamais un mot de trop, jamais de lourdeur. Justesse et poésie dans l'anticipation, enfin.

J'ai tellement aimé que j'ai mis de la confiture dessus.